Conclusion.




La Société de l'Information apparaît donc comme un modèle utopique qui reprend à peu de chose près l'utopie saint-simonienne. Il serait en revanche surprenant de penser que tout le monde, des médias de toute origine, des politiques de toute tendance, se soient converti au saint-simonisme ! En effet si les utopistes de la Société de l'Information sont de véritables saint-simoniens (la plupart étant Américain, ne sont pourtant pas familier de l'auteur), il est douteux que le reste le soit. D'autant plus douteux que ces utopistes, issus en général du monde de l'informatique sont les adversaires les plus acharnés au développement des " poids lourds " de la Société de l'Information, c'est-à-dire aux grands industriels des technologies de l'information.

Nous avançons donc une hypothèse : la Société de l'Information est avant tout une légitimation de l'économisation du monde. Il est remarquable que les partisans d'un libéralisme économique radical reprennent tous le schéma de la Société de l'Information comme une mutation justifiant la mise en place de leurs réformes structurelles.
L'économie de marché, c'est d'abord l'échange de signes standardisés (contrats, monnaies, etc.) donnant lieu ensuite à un échange matériel. Or les données informatiques sont l'outil parfait pour cela car une donnée informatique est une information standardisée. L'économie de marché trouve ainsi dans les réseaux informatiques, chaussure à son pied. Parmi les premiers réseaux mondiaux de donnés furent ceux des marchés financiers.

Mais l'avantage de la Société de l'Information comme modèle, c'est qu'elle peut servir partiellement d'autres idéologies, et permettre ainsi un relatif consensus sur ce miroir aux alouettes. En effet, l'État peut se servir des NTIC (objets significatifs de la Société de l'Information), mais ne peut pas s'en contenter pour ses missions. L'éducation peut également utiliser ces outils mais pas seulement, la famille idem, etc. À part les entreprises, aucune autre institution ne peut totalement se fondre dans la Société de l'Information en en sortant indemne. Car il ne faut pas confondre adaptation pratique (et là les entreprises doivent le faire) et changement de rôle, c'est-à-dire de finalité. Or le seul rôle qui ne changera pas est celui des entreprises. Toutes les autres institutions sont priées d'évoluer, non pas seulement dans leurs pratiques mais dans leur raison d'être.

Cherchons là encore dans les œuvres littéraires les visionnaires de la Société de l'Information. Ce modèle dans son achèvement le plus total (disparition des États, organisation par communautés, libre choix d'appartenance à ces communautés, régulation internationale entre celles-ci, déterritorialisation de ces communautés, existence des nanotechnologies pouvant significativement transformer l'homme, etc.) est extrêmement bien rendu dans le livre de Neal Stephenson, l'Âge du diamant (éditions Rivages). Dans ces multiples communautés, il en est une très spéciale qui apparaît comme la pire de toute, les tambourinaires. Communauté où le rapport sexuel est le seul but, sous alimentation artificielle et drogue adéquate, l'orgie permanente des années durant. C'est la face sombre de la Société de l'Information. Elle ne peut véritablement être un modèle de société car elle ne prend pas en compte tous les fondamentaux des relations humaines, la relation animale.

En économisant tout échange, c'est-à-dire en le standardisant, la relation est singulièrement restreinte. De plus, l'apologie du flux et du mouvement, de l'adaptation permanente, de la flexibilité comme preuve d'individualité n'arrive qu'au vertige. Standard et vertige, on est loin de l'individuation et de l'épanouissement...

Donc derrière ce discours de la Société de l'Information, on peut poser la question s'il ne s'agit pas de la diffusion d'une légitimation de pouvoir, comme jadis les maximes que les rois faisaient diffuser pour expliquer, accoutumer à leur vision de la société : " le roi est empereur en son royaume ", " le pouvoir du pape n'est pas de ce monde ", etc. ...
La Société de l'Information pourrait se résumer en une maxime : " le monde de demain est un autre monde ". Réminiscence du mythe américain de la Frontière, la ruée est ouverte, toutes les places restent à prendre... mais est-ce vraiment le cas ?